Laurance N'Kaoua
Futuriste. C'est le métier d'August Cole. L'avenir, cet Américain de 47 ans, expert des questions de défense, d'intelligence artificielle et de sécurité, le décrypte d'un trait de plume. Et ses romans, coécrits avec le chercheur P. W. Singer, sont des best-sellers. Car, cet ancien journaliste en est persuadé, à l'ère où les fake-news étouffent la réalité, la fiction est un instrument idéal pour faire prendre conscience aux sociétés des dangers bien réels qui les guettent. Or, comme en témoignent les kyrielles de notes qui alimentent ses livres, ses récits reposent sur les dérapages potentiels de ce qui existe déjà. « Nous avançons comme un train lancé à grande vitesse sans songer aux risques », commente August Cole, soucieux de changer la donne.
Le premier ouvrage du duo, « La Flotte fantôme », traduit en onze langues, relatait une guerre mondiale opposant la Chine aux Etats-Unis. Et aurait été à l'origine de certains changements au Pentagone. « Un chapitre dévoile, par exemple, qu'il est possible de pirater des puces, révèle August Cole. Or la plupart de celles qui circulent aux Etats-Unis sont fabriquées en Chine. Et la chaîne d'approvisionnement est si complexe qu'elles pourraient se trouver dans des armes ! » dit-il.
Dans son second roman, « Control », sorti en France en juin, l'héroïne, salariée du FBI fait équipe avec un robot. « La société va être secouée tant par les licenciements liés à l'automatisation que par les pressions qui pèseront sur les Etats : comment prendre en charge les futures populations inactives ? Surtout lorsque, bardées de diplômes, elles estiment qu'un emploi leur est dû », juge ce Californien d'origine, qui a grandi à Seattle entre un père chasseur de têtes et une mère bibliothécaire. Au-delà d'un discours alarmiste, il espère, à travers ses écrits, amener, par exemple, des investisseurs à financer une technologie plus éthique ou à repérer des marchés émergents. Et compte parmi ses clients, l'armée norvégienne ou l'Otan. Avec P.W. Singer, il a rédigé pour le Congrès, la préface fictive d'un rapport sur la cybercriminalité, histoire de sensibiliser Washington à l'impact qu'aurait le piratage des systèmes électriques.
« Auparavant, j'étais spectateur, maintenant je contribue à la résolution de problèmes », raconte cet ancien du « Wall Street Journal », qui utilise son savoir-faire journalistique pour nourrir ses ouvrages. Est-ce parce qu'il est un enfant de la guerre froide ? Né en 1974, l'année où Nixon a succombé au Watergate, August Cole a d'abord voulu être diplomate, apprenant même, enfant, le Russe, entre deux séances de skateboard. Mais à l'université de Pennsylvanie, il rédige un mémoire sur les rapports entre les Etats-Unis et le régime de Vichy. Fasciné. Et après un an à Lyon pour peaufiner son français et ses talents de skieur, il s'oriente vers le journalisme. « Le journalisme, c'est l'histoire qui se déroule au présent », dit ce fan de surf, de vélo et d'aviron.
La privatisation de la guerre
En 1998, il suit à Londres sa future épouse, admise à Oxford. Et fait ses armes au « Freedom Forum », une ONG qui défend la liberté de la presse. Lorsqu'il rentre au bercail à 23 ans, seul le site financier CBS MarketWatch l'accueille. Mais il s'impatiente. « J'ai compris que je ne sortirai de l'actualité financière qu'en repassant par l'école », confie-t-il. En 2006, il intègre donc la Kennedy School of Government d'Harvard. Il planche sur l'éthique des conflits armés, l'élaboration de programmes fédéraux, la privatisation de la guerre... Déjà, réalité et fiction s'entremêlent. « Mes camarades étaient des diplomates ou des miliaires revenus d'Irak ou d'Afghanistan », se souvient-il.
Diplômé, il renoue avec des confrères du « Wall Street Journal » croisés lors d'un reportage sur l'ouragan Katerina, et se fait embaucher pour couvrir la défense. Bientôt, il trouve le journalisme réducteur. En 2009, ce père de deux filles démissionne pour écrire. « Il y a mille manières de devenir ce que vous voulez être, dit-il. Je ne regrette rien. »
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