Emeric Lepoutre
Le président de la République avait mis en avant l'industrie verte parmi ses chantiers prioritaires dans son allocution du 21 juillet et un amendement avait été courageusement déposé dès le lendemain à l'Assemblée nationale par le député (Ensemble) Alexandre Holroyd (par ailleurs président de la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts).
Cet amendement proposait un vote consultatif des actionnaires sur la stratégie climat des entreprises cotées (dit « say on climate »). Une déclinaison environnementale du « say on pay », qui concerne la rémunération des dirigeants.
Une douzaine de sociétés du SBF120 de tous secteurs d'activité l'avaient d'ailleurs déjà fait ces dix-huit derniers mois (dont Amundi, Carrefour, EDF, Engie, Mercialys, Nexity, Vallourec - et même TotalEnergies).
Mais c'était compter sans une alliance estivale et contre-nature entre, d'un côté, les organismes patronaux (l'Afep, le Medef et l'Ansa) et, de l'autre, certaines instances politiques (quelques députés LR, Renaissance, RN et LFI, auxquels s'est étonnamment joint le ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure).
Pendant les deux mois d'été, cet aréopage atypique s'est en effet retrouvé à agir en coulisse pour faire capoter cet amendement « dangereux pour l'attractivité de la France »(sic). En quoi proposer aux actionnaires, en vote seulement consultatif, et uniquement tous les trois ans, un plan sur l'impact climat des activités des grandes entreprises était-il « un danger » pour la France ? Pourquoi les actionnaires et investisseurs français seraient-ils moins informés que les investisseurs anglo-saxons ?
Comme si les actionnaires n'étaient pas intéressés par la stratégie en matière de développement durable alors qu'ils applaudissent la création de comités ESG/RSE depuis dix ans. L'Autorité des marchés financiers (AMF) s'était, elle-même, prononcée en faveur des résolutions consultatives des actionnaires sur le climat.
L'argument de « frein à l'attractivité de la France » ne tient pas non plus, car, d'une part, les investisseurs (français et étrangers) étaient pour ce projet de loi et, d'autre part, car les critères ESG et les informations extra-financières deviennent de plus en plus scrutés par la communauté financière internationale pour le rating des entreprises cotées.
Nous craignions ici même dans notre tribune du 24 juillet que l'environnement politique l'emporte in fine sur la politique de l'environnement. C'est malheureusement ce qui s'est passé ces derniers jours. Certains de ceux qui s'étaient opposés à la loi Copé-Zimmerman de 2011 visant à instaurer un quota de 40 % de femmes dans les conseils d'administration et qui s'étaient opposés au « say on pay » en 2016 - au prétexte que « l'on n'a pas besoin de loi pour agir » - s'opposent aujourd'hui à un vote simplement consultatif des actionnaires tous les trois ans sur les plans climat.
Il suffit de regarder la hauteur de vue de certains de leurs commentaires sur les réseaux sociaux et dans la presse après le retrait de ce texte (« ouf, un rapport de moins à faire »,sic) pour comprendre le décalage des priorités.
Si on les avait écoutés à l'époque, il n'y aurait pas plus de femmes dans les conseils d'administration et les instances dirigeantes ni plus de transparence dans les rémunérations. Les mêmes préfèrent aujourd'hui remettre à demain le « say on climate » en détournant la tête alors que la planète brûle. Et nos enfants avec.
On marche sur la tête. Mais nous ne baissons pas les bras. A l'instar d'Alexandre Holroyd, dépositaire de l'amendement retoqué : « En 2023, il paraît aberrant que ce sujet ne donne pas lieu à des échanges entre actionnaires et grandes entreprises. C'est un combat qu'il conviendra de continuer à mener. »
Comme pour le « say on pay », il vaut en effet mieux un « say on climate » autorégulé en France par l'information des actionnaires qu'imposé un jour par l'Union européenne.
Entreprises, transparence et environnement ne sont pas incompatibles.
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